vendredi 14 avril 2017

le tag et graffiti comme pratique spatiale

http://books.openedition.org/pur/34438

Résumé : La pratique du tag est envisagée ici dans une perspective géographique. La lecture des différentes formes de marquages et de leurs répartitions démontre une stratégie dans la pratique des tagueurs, cherchant l'exposition optimale tout en composant avec le risque policier et l'effacement régulier des murs. Cette lecture spatiale est aussi l'occasion de démontrer qu'en France le tag n'est pas une marque de territorialisation, mais qu'il est véritablement associé à des stratégies publicitaires auto-promotionnelles.



TEXTE INTÉGRAL



Les premières inscriptions liées au mouvement du graffiti apparaissent dans les années 1960, dans des quartiers déshérités de New-York. Appelées « tags », elles sont réalisées par une jeunesse touchée par l’exclusion sociale et la ségrégation raciale. Des pseudonymes sont utilisés dans une démarche d’affirmation individuelle ou de groupe pour recouvrir les murs de la ville et parfois pour exprimer le contrôle de certains espaces par les gangs. Ce mouvement de marquage s’intègre rapidement dans la culture hip-hop qui va connaître une diffusion rapide à l’échelle mondiale.
  • 1 Bando, l’un des premiers tagueurs français, commence sa « carrière » à la suite de voyages répétés (...)
  • 2 M. Copper & H. Chalfant (1984), H. Chalfant & J. Prigoff (1987).
2Ce sont des jeunes au capital socioculturel élevé qui importent la pratique en Europe et en forment l’essentiel des premiers adeptes. Ils sont inspirés par le mouvement originel1 et par les premières publications sur le graffiti outre-Atlantique2. À la fin des années 1980, la pratique s’étend à toute la région parisienne, puis à la province, touchant une jeunesse de plus en plus large. Cette prolifération des graffitis, à la fin des années 1970 aux États-Unis et au début des années 1990 en Europe, incite à l’adaptation des politiques de contrôle. Elles sont accompagnées de campagnes de nettoyage systématique et d’une répression croissante (arrestations, amendes, peines de prison). En parallèle, s’opère une « récupération » de la culture graffiti par les institutions et des formes légales font leur apparition dans les musées ou au travers de fresques réalisées sur commande.
3La criminalisation du graffiti favorise la création d’un « milieu de tagueurs » fonctionnant comme une sous-culture. Le caractère délictueux du graffiti influence directement le comportement des membres actifs, car être tagueur, c’est accepter et jouer l’illégalité induite par cette pratique. La première arrestation peut même être considérée comme un rite initiatique dans la mesure où certains individus délaisseront la pratique tandis que d’autres persévéreront et s’affirmeront.
4Le tagueur fait partie d’un mouvement socioculturel dont les tenants et les aboutissants sont intériorisés. C’est la reconnaissance par les pairs qui oriente principalement la pratique du tagueur. Elle s’obtient par la quantité des productions ou par leur qualité. Chaque tagueur élabore donc une stratégie spatiale qui s’apparente à celle des publicitaires, sauf que l’illégalité devient une donnée primordiale dans la conception des tactiques de marquages. La répression policière et le nettoyage sont ici des conditions supplémentaires qui engendrent une adaptation des pratiques pour perdurer dans le temps et dans l’espace. Comment cette tension omniprésente entre stratégie auto-promotionnelle et gestion du risque se traduit-elle dans l’espace urbain ? N’est-on pas loin de l’idée couramment véhiculée du tag comme marqueur territorial ?

À LA RENCONTRE DES DIFFÉRENTES FORMES DE MARQUAGES : EXPLORER LA RUE

De l’instrument à la réalisation

  • 3 L’utilisation de cet instrument est assez récente. Elle consiste à remplacer le contenu d’un extin (...)
5La présente recherche cible uniquement les marquages de l’espace liés à cette pratique consistant à inscrire un mot ou signe à caractère personnel (pseudonyme, également appelé « blaze ») ou collectif (« crew ») sur les murs, et ce de façon répétée. Ce marquage de l’espace peut être effectué grâce à une large palette d’outils. Les plus répandus sont les petits marqueurs, les « poscas » (gros marqueurs) et la bombe de peinture. Ces différents outils sous-tendent des usages distincts. Le marqueur s’utilise plutôt sur des surfaces lisses, tandis que la bombe aérosol s’adapte à tous les supports. Ils correspondent aussi à différentes tailles de marquage. Les petits marqueurs servent généralement à l’exécution de tags de taille réduite et la bombe de peinture à de plus volumineux. L’aérosol permet par ailleurs la réalisation de « graffs ». Accessoirement d’autres outils sont aussi utilisés : le pochoir, la craie, l’acide, l’extincteur3, le rouleau de peinture, les autocollants (« stickers ») ou encore l’affiche (figures 1 et 2).
6Les types de productions s’échelonnent de la plus simple expression à la plus complexe, chacune induisant une durée de réalisation différente. Le tag est une signature généralement exécutée de manière spontanée et en un temps très court. C’est une trace laissée sur son passage qui ne donnera pas lieu à des retouches. Le « flop » ou le « bubble » consiste à tracer des lettres en volume uniquement avec un contour. Cette technique, à mi-chemin entre le tag et le graff, a pour objectif la réalisation rapide de « lettrages » imposants (figure 2). Le « block letters » ou « block » est une construction de lettres homogènes avec une couleur claire à l’intérieur et un contour foncé. Le block a pour objectif d’être « efficace », les lettres doivent être stylisées tout en restant lisibles. Enfin, pour les besoins de cette enquête, ont été regroupées toutes les productions complexes et colorées sous l’appellation « couleurs ». Ce sont les graffitis les plus élaborés, parfois agrémentés de personnages. Qu’ils soient légaux (figure c, planche II), tolérés ou illégaux, ils demandent une expérience et un temps d’exécution beaucoup plus important...

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